Peut-il y avoir civilisation sans religion ?
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#1 19/09/2010 à 18:55
Peut-il y avoir civilisation sans religion ?
Si l’éthique est la réflexion sur les préceptes de la morale, et si rien dans la morale ne va plus de soi, pire : si rien dans la morale ne reçoit plus de fondement qui fasse consensus, il me semble que la réflexion éthique ne peut plus aboutir qu’à un scepticisme total, ou à un nihilisme.

Or, je conçois mal une civilisation sans règles ou principes de conduite... Et pour l’heure, je ne vois qu’une croyance collective pour fonder une morale dont les piliers puissent résister au scepticisme, une religion pour assurer que le bien et le mal existent, que les lois fondamentales sont émanations divines. Sans cela, il me semble aisé de soutenir que le bien et le mal n’existent pas.

Alors, civilisation sans religion, un oxymore ? Le problème me semble particulièrement d’actualité, parce qu’il s’articule à la difficile question de la « relativité culturelle », dans laquelle s’englue la critique adressée à l’égard des pays qui ne respectent pas les droits de l’homme. Parce qu’ils répondent que ce n’est qu’idéologie, et que de l’autre côté on ne sait pas comment soutenir que les droits de l’homme sont universels tout en se passant de sentiment religieux. Car qu’est-ce que c’est que d’être convaincu du bien de quelque chose, sinon un sentiment du sacré ? Et, collectivement, un sentiment religieux ?...
#2 19/09/2010 à 23:23
La notion de bien et de mal n'a pas été créé par les religion mais par la société.
Car c'est probablement les notions de bien et de mal qui ont créé les religions.

Le célèbre Émile, ou De l'éducation en parle justement.
#3 20/09/2010 à 1:09
Bien sûr que oui une civilisation peut exister sans religions.
On va pas tergiverser sur la dicotomie du bien et du mal, et heureusement la bonne conduite n'est pas dictée par le religion...

PS : Faut être diplômé de je ne sais quoi pour arriver à comprendre ton post.
#4 20/09/2010 à 16:14
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Posté à l'origine par: Bastaya

Je pense qu'il faudrait définir ce que l'on entend par "religion".


Dans mon premier message, la religion se définit comme l’équivalent de « croyance collective », parce que c’est le socle qu’elle fournit à la morale, et par conséquent à la société qui m’intéresse (en revanche, je suis beaucoup plus vague avec "civilisation", que je confonds pour le moment avec "société"). Je préfère les sens minimaux, qui n’empêchent pas les mots de prendre un sens différent selon les discours dans lesquels ils s’inscrivent, et d’éviter de prendre parti pour une définition forcément discutable. Avec « croyance collective », je pense qu’on peut englober le catholicisme comme le culte de l’empereur, le « petit père des peuples » comme la « religion civile » de Rousseau.

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Posté à l'origine par: Bastaya

Après, la question ce serait, est-ce qu'on préfère se sentir libre de nos choix de vie complètement, ou préférons nous se laisser dicter des règles pour être apparemment, juste apparemment, libre ?


Des gens sans croyance, comment peuvent-ils s’accorder sur le moindre précepte moral ? Comment peuvent-ils vivre ensemble ?

Question subsidiaire : sentir le bien ou le mal de quelque chose, n’est-ce pas déjà croire en quelque chose qui nous dépasse ?

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Posté à l'origine par: HiBoy

Le célèbre Émile, ou De l'éducation en parle justement.


Je n’ai pas lu l’Emile, mais je suis à peu près sûr que Rousseau n’y conçoit pas de société sans religion : elle est pour lui nécessaire au maintien du « contrat social », qu’elle solidifie par sanctification. Je crains que ce ne soit pas le bon philosophe pour soutenir la possibilité d’une société athée...

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Posté à l'origine par: HiBoy

La notion de bien et de mal n'a pas été créé par les religion mais par la société.
Car c'est probablement les notions de bien et de mal qui ont créé les religions.


Qu’est-ce qui te fait penser que les choses se sont probablement déroulées comme tu le décris ?

Et le problème reste entier : quel besoin pour une société d’inventer le bien et le mal ? Et comment soutenir l’existence d’une telle dichotomie, et la répartition de ses deux termes, sans croyance ?

Dans ta description, on dirait que les gens se sentent le besoin d’un bien et d’un mal, puis le besoin d’une religion, comme si admettre un bien et un mal sans croyance collective était insuffisant...
#5 22/09/2010 à 10:53
Ma réponse sera très flemmarde...

Je pense qu'il y a des éléments intéressants là-dedans : Peut-on ne pas croire ?
#6 22/09/2010 à 11:36
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Posté à l'origine par: Michel Sucre
Or, je conçois mal une civilisation sans règles ou principes de conduite... Et pour l’heure, je ne vois qu’une croyance collective pour fonder une morale dont les piliers puissent résister au scepticisme, une religion pour assurer que le bien et le mal existent, que les lois fondamentales sont émanations divines. Sans cela, il me semble aisé de soutenir que le bien et le mal n’existent pas.


"Ne fait pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse."

A-t-on besoin de mettre en scène des dieux pour dire cela ?
Dernière mise à jour le 22/09/2010 à 11:37 par Erwan.
#7 22/09/2010 à 21:57
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Posté à l'origine par: nemo

Ma réponse sera très flemmarde...


Je l'ai survolé, m'étais promis de le lire correctement pour ce soir et ne l'ai pas fait. Mais, d'après ce que j'ai vu, il y a matière à bousculer un peu ce que j'ai dit pour le moment. En attendant, je copie-colle ce passage de Durkheim :



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Posté à l'origine par: Durkheim
Il ne peut pas y avoir de société qui ne sente le besoin d’entretenir et de raffermir, à intervalles réguliers, les sentiments collectifs et les idées collectives qui font son unité et sa personnalité. Or, cette réfection morale ne peut être obtenue qu’au moyen de réunions, d’assemblées, de congrégations où les individus, étroitement rapprochés les uns des autres, réaffirment en commun leurs communs sentiments ; de là des cérémonies qui, par leur objet, par les résultats qu’elles produisent, par les procédés qui y sont employés, ne diffèrent pas en nature des cérémonies proprement religieuses. Quelle différence y a-t-il entre une assemblée de chrétiens célébrant les principales dates de la vie du Christ, ou de juifs fêtant soit la sortie d’Egypte, soit la promulgation du Décalogue, et une réunion de citoyens commémorant l’institution d’une nouvelle charte morale ou quelque grand événement de la vie nationale ?


In Les Formes élémentaires de la vie religieuse (p. 610, rééd. de 1960)



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Posté à l'origine par: Erwan

"Ne fait pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse."

A-t-on besoin de mettre en scène des dieux pour dire cela ?


Ce n'est pas ça le problème, ce n'est pas de le dire. Le problème, c'est : qu'est-ce qui, à part un sentiment religieux, peut nous permettre, ensemble, de tenir ça pour juste ?
Dernière mise à jour le 22/09/2010 à 21:59 par Michel Sucre.
#8 22/09/2010 à 21:59
La crainte de représailles.
#9 22/09/2010 à 22:12
Erwan, ça ressemble à de l'anarchie ce que tu nous proposes, non ?

Je suis pas un grand fan, puisque je suis persuadé qu'un système comme celui-là ne pourrait pas fonctionner dans notre société.

Lors de la "création" d'une société, peut-être, mais si on essayait actuellement, ça créerait bien plus le chaos qu'autre chose.
#10 22/09/2010 à 22:15
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Posté à l'origine par: Erwan

La crainte de représailles.


ou pas. La preuve en étant que toutes les sociétés, dont les aborigènes d'amazonie, de papouasie-nouvelle guinée ou d'ailleurs, ont cherchées à justifier le pouvoir d'un chef par la religion (ou du moins la superstition) au lieu de s'en tenir a une violence pure.

On comprend d'ailleurs facilement pourquoi : un système géré par la seule violence est instable, ceux qui sont en dessous du chef se demanderont toujours "et pourquoi pas nous" tant qu'il n'y a aucun frein moral à leur insurrection, puisqu'une fois le chef en place assassiné personne n'ira leur demander des comptes.
possesseur d'un membre du CITJAD : Commando International des Théières Japonaises Armées et Dangereuses.
#11 22/09/2010 à 22:28
Les représailles, cela s'appelle la justice, qu'il s'agisse du droit de vendetta ou de représailles dûment tarifées par un code pénal.

Quant à la religion, elle sert à s'attirer les faveurs des dieux et non à soutenir les pouvoirs en place. Si elle soutient parfois le pouvoir, c'est parce que le chef a un bon mana qui rejaillit sur la société.
#12 22/09/2010 à 22:56
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Posté à l'origine par: Erwan

Les représailles, cela s'appelle la justice, qu'il s'agisse du droit de vendetta ou de représailles dûment tarifées par un code pénal.


Sauf que dans le cas de tarification par un code (pas forcément pénal, ce qui permet d'inclure la vendetta), la question se pose toujours des fondations de ce code. Qu'est ce qui va faire qu'un individu cherche à venger la mort d'un autre ?

Pour qu'un concept de vengeance inconditionnelle existe, il faut déjà, à mon sens, une structure sociale et morale. Ce qui disqualifie la peur de représailles comme fondement d'une société cohérente.
possesseur d'un membre du CITJAD : Commando International des Théières Japonaises Armées et Dangereuses.
#13 22/09/2010 à 23:53
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Posté à l'origine par: Jinoc
Sauf que dans le cas de tarification par un code (pas forcément pénal, ce qui permet d'inclure la vendetta), la question se pose toujours des fondations de ce code. Qu'est ce qui va faire qu'un individu cherche à venger la mort d'un autre ?


L'affection qu'il avait pour le défunt.
#14 23/09/2010 à 11:57
Et ça donne quoi une morale sans sanctions ? Quand les délinquants arrêtés par la police sont relâchés par les juges, ils recommencent de plus belle et vont même narguer les flics et les victimes.
#15 23/09/2010 à 13:12
Citer:
Posté à l'origine par: Erwan

L'affection qu'il avait pour le défunt.


sauf que cette idée est héritière de siècles de traditions. De plus, le passage de "X a tuer quelqu'un que j'appréciais" à "je dois tuer X" ne m'est absolument pas naturel.
(la réponse naturelle me semblerait plutôt être quelque chose du genre "je ferais mieux de me barrer en vitesse)
possesseur d'un membre du CITJAD : Commando International des Théières Japonaises Armées et Dangereuses.
#16 23/09/2010 à 16:08
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Posté à l'origine par: Bastaya

Je crois qu'j'ai donc répondu à cette question précédemment : par l'éducation, pardi.


L'éducation transmet la morale, elle ne la fonde pas. Et comment assurer la transmission de quelque chose que rien ne fonde (dans le cas où il n'existerait effectivement rien d'autre qu'une religion pour fonder une morale) ?

En outre, si je tiens quelque chose pour vrai ou juste uniquement parce que je l'ai appris de quelqu'un à qui je reconnais une certaine autorité, je suis dans la croyance. L'enfant qui tient religieusement pour vrai ce qui lui a appris sa maman, parce que sa maman ne peut pas lui avoir menti.

Citer:
Posté à l'origine par: Bastaya
"ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse."


Cette maxime, dont la provenance est à mon avis toute religieuse, je ne suis pas sûr de bien saisir comment Erwan et toi la considérez. J'ai l'impression que vous tenez sa justesse pour évidente... Alors qu'il y a au moins toutes les sociétés esclavagistes pour ne pas y adhérer, sauf peut-être quelques unes, qui ne voient aucun problème à la respecter puisqu'elles ne tiennent pas leurs esclaves pour de véritables êtres humains.
Dernière mise à jour le 23/09/2010 à 16:21 par Michel Sucre.
#17 23/09/2010 à 16:57
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Posté à l'origine par: Jinoc
sauf que cette idée est héritière de siècles de traditions. De plus, le passage de "X a tuer quelqu'un que j'appréciais" à "je dois tuer X" ne m'est absolument pas naturel.
(la réponse naturelle me semblerait plutôt être quelque chose du genre "je ferais mieux de me barrer en vitesse)

Ceci est l'apologie de la lâcheté. Qui voudra t'avoir pour ami, pour mari, ou pour père si tu réagis ainsi à une agression contre ton groupe ?

"Quand on a un ami, il faut pouvoir faire la guerre pour lui. Et pour faire la guerre, il faut pouvoir être ennemi." Nietzsche
#18 23/09/2010 à 17:07
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Posté à l'origine par: Michel Sucre
L'éducation transmet la morale, elle ne la fonde pas. Et comment assurer la transmission de quelque chose que rien ne fonde (dans le cas où il n'existerait effectivement rien d'autre qu'une religion pour fonder une morale)?

C'est la coutume qui fonde cette morale. Tant qu'un ensemble de règles assure le fonctionnement d'une société, il n'y a pas de raison d'en changer.

Citer:
En outre, si je tiens quelque chose pour vrai ou juste uniquement parce que je l'ai appris de quelqu'un à qui je reconnais une certaine autorité, je suis dans la croyance. L'enfant qui tient religieusement pour vrai ce qui lui a appris sa maman, parce que sa maman ne peut pas lui avoir menti.

Non : l'enfant tient pour vrai ce que ses parents lui ont appris tant qu'il ne tombe pas sur des éléments contredisant le système de pensée dont il a hérité.

Citer:
Cette maxime, dont la provenance est à mon avis toute religieuse, je ne suis pas sûr de bien saisir comment Erwan et toi la considérez.

Elle est pratique. Elle ne devient religieuse que si on lui accolle une punition divine pour le fautif.

Citer:
J'ai l'impression que vous tenez sa justesse pour évidente... Alors qu'il y a au moins toutes les sociétés esclavagistes pour ne pas y adhérer, sauf peut-être quelques unes, qui ne voient aucun problème à la respecter puisqu'elles ne tiennent pas leurs esclaves pour de véritables êtres humains.

C'est complètement faux : l'esclavagiste sait très bien que la fortune des armes est variable et que son fils peut être asservi par l'ennemi.
Et puis entre le sort du travailleur libre et celui de l'esclave, il y a toujours eu l'épaisseur d'un cheveu dans la plupart des sociétés.
#19 23/09/2010 à 18:33
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Posté à l'origine par: Erwan
C'est la coutume qui fonde cette morale.


On est encore dans la croyance. Croyance en la coutume comme expression de la justesse.

Citer:
Posté à l'origine par: Erwan
Tant qu'un ensemble de règles assure le fonctionnement d'une société, il n'y a pas de raison d'en changer.


Ce n'est pas parce qu'une société fonctionne qu'elle convient à tout le monde. Avec des règles purement fonctionnelles, il n'y a plus rien pour endiguer, freiner, adoucir les agaceries individuelles, les jalousies, les paniques. Plus rien non plus pour susciter le courage, quand la société est menacée.
Ce que tu décris, c'est un château de cartes : un souffle le balaie.

Citer:
Posté à l'origine par: Erwan
Non : l'enfant tient pour vrai ce que ses parents lui ont appris tant qu'il ne tombe pas sur des éléments contredisant le système de pensée dont il a hérité.


Je n'ai pas dit "les enfants", j'ai dit "l'enfant". C'est une figure, destinée à résumer ma réponse à Bastaya, pas une vérité générale.

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Posté à l'origine par: Erwan
C'est complètement faux : l'esclavagiste sait très bien que la fortune des armes est variable et que son fils peut être asservi par l'ennemi.


C'est complètement à côté de la plaque : cela ne démontre en rien que l'esclavagiste adhère à la maxime dont il est question.
Dernière mise à jour le 23/09/2010 à 18:37 par Michel Sucre.
#20 23/09/2010 à 20:04
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Posté à l'origine par: Michel Sucre
On est encore dans la croyance. Croyance en la coutume comme expression de la justesse.

Ce n'est pas parce qu'une société fonctionne qu'elle convient à tout le monde. Avec des règles purement fonctionnelles, il n'y a plus rien pour endiguer, freiner, adoucir les agaceries individuelles, les jalousies, les paniques. Plus rien non plus pour susciter le courage, quand la société est menacée.
Ce que tu décris, c'est un château de cartes : un souffle le balaie.

Allons donc ! Si une société était fragile parce qu’elle s’appuie sur ses traditions, ça se saurait !

Toi, tu confonds la société dans son ensemble et les groupes qui la composent.
Chacun cherche d’abord sa place dans son groupe social, et on lui dit d’en respecter les membres pour en obtenir le respect. Et ça marche à tous les niveaux : on trouve dans la littérature des histoires de domestiques ne supportant pas les maîtres ne sachant pas se comporter en lords.

Et il arrive que des groupes sociaux parfaitement structurés ne trouvent pas leur place dans la société, qu’il s’agisse de la bourgeoisie du 18ème siècle se débarrassant de la noblesse ou de la société maghrébine transposée sur notre sol.

Citer:
Je n'ai pas dit "les enfants", j'ai dit "l'enfant". C'est une figure, destinée à résumer ma réponse à Bastaya, pas une vérité générale.

Moi aussi j’ai dit « l’enfant. »

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C'est complètement à côté de la plaque : cela ne démontre en rien que l'esclavagiste adhère à la maxime dont il est question.

L’esclavagiste est un patron comme un autre qui au dessus de lui une hiérarchie qu’il doit supporter. Et donc il peut très bien tomber sur un supérieur capricieux et cela le fera réfléchir sur lui-même s’il se montre capricieux avec ses esclaves.
De toute façon, le maître n’a aucun intérêt à faire du tort à son esclave. L’esclave doit travailler en toute quiétude pour donner son meilleur rendement.
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