White Wolf
Posté le 19 Octobre 2015 par White Wolf
Chapitre 5 :

Je tournais la clé de la serrure et ouvrit la porte. Erwin, aussi trempé que moi, se tenait derrière et me suivait comme mon ombre. Il a fallu que l’on pique un sprint entre l’arrêt de bus et ma maison, comme si ça nous aurait aidé à être plus sec à l’arrivé. Je fermais la porte après qu’il soit entré et posa mon sac sur une chaise.

-Quand est-ce que l’ami de ta tante vient te chercher ?

-à 19h30, dans deux heures donc…Tu…Tu es sûr que je ne dérange pas ?

-Bien sûr que non, ne t’inquiète pas. Met-toi à l’aise. Tu veux boire quelque chose ?

Il me fit non de la tête.

-Bon. Attend alors, je vais nous chercher de quoi s’essuyer un peu.

De la main, je lui indiquais le canapé, au cas où il voulait s’asseoir, avant de rentrer un instant dans ma chambre. J’enlevais ma chemise imbibée d’eau et mon pantalon qui était collé à mon corps. Puis direction vers ma salle de bain (j’en avais une à moi seul) pour prendre une serviette, me la passer sur le corps et enfin installer des vêtements secs et plus légers. Un t-shirt et un short banal. Des habits d’étés que j’avais tendance à porter quand je rentrais à la maison Je revenais sur mes pas vers le salon et vit Erwin sur le balcon, à l’abri de la pluie par la partie couverte par un bout du toit. Torse-nu, il était en train d’essorer son haut et j’osais jeter un œil sur lui par curiosité. Comme si il s’était douté qu’il était observé, il se tourna vers moi et je me rendais compte qu’il était assez musclé. Erwin était le genre de gars qu’on croirait assez frêle et je ne m’attendais pas à ce qu’il possède une telle forme physique. Il devait faire pas mal de sport pour en être arrivé là. Après quelque instant, je repris conscience qu’il attendait une parole ou action de ma part. Après tout, je n’étais pas venu le voir pour regarder un corps de rêve.

-Tu veux de nouveaux vêtements ? Si les tiens sont trempés, ce ne sera pas très agréable pour toi.

-Je sais pas…

-Je crois qu’on doit avoir la même taille. Laisse-moi vérifier, d’accord ?

Comme à son habitude, un simple haussement des épaules fut sa réponse. Je retournais dans ma chambre et ouvrit mon placard, commençant à fouiller dans mes affaires. J’ai trouvé assez vite le haut PARFAIT pour lui. Je fermais le placard après avoir pris le cintre et constata qu’Erwin se tenait derrière moi. Comme un petit chiot découvrant un nouvel environnement, il jetait des grands regards aux quatre coins de la salle. Je lui lançais le t-shirt, qu’il rattrapa avec beaucoup de vivacité.

-Met ça.

Il regarda un instant le haut, l’air intrigué, et décida de le mettre. Je devais l’avouer, j’étais presque déçu de ne pas pouvoir admirer plus longtemps ce torse et ce ventre que tout gars aurait aimé posséder. Mais cette légère déception laissa place à un sourire au coin de mes lèvres. Ce t-shirt noir, peut-être un tout petit peu trop grand pour lui, avait en son centre une belle bouche rouge tirant la langue. Erwin jeta un regard au symbole, semblant curieux. Je m’approchais de lui :

-Le symbole des Rolling stones. Ce sont les chanteurs et musiciens que tu as entendu dans le bus.

-Oh…D’accord.

-Tu n’aimes pas ?

Silence. Haussage d’épaule. Cette fois-ci, je trouvais son absence de réponse un peu trop lourd. Je soupirais en croisant les bras. Ça semblait être difficile d’avoir une bonne conversation avec lui.

-Je vais finir par croire que tu n’apprécies pas beaucoup ma compagnie, si tu ne me parles jamais.

J’avais sortis ça avec franchise, sans vouloir être profondément méchant, mais j’avais envie de lui dire que j’étais parfois un peu vexé par ses absences de réaction et interaction.

-Si je ne t’aimais pas, crois-moi, tu le saurais.

Quelque chose me perturba grandement, suite à cette phrase, lorsqu’il prononça ses mots. Quelque chose de nouveau, particulier, et je ne savais pas quoi. Mais je lui jetais un œil, et je compris : Il me regardait. Aussi con que cela pouvait paraître, Erwin ne me regardais jamais, ni personne d’autre. Il fuyait le contact oculaire avec les autres. Il tournait le dos, regardais ailleurs, fixais la main, la jambe, les pieds, l’épaule, au mieux derrière les autre où sur leur joue, mais jamais les yeux. Jamais DANS les yeux. Là, il me fixait, et pour la première fois, je découvris vraiment la couleur de ses yeux.

Bleu…Bleu-clair, le bleu d’un ciel dégagé en été. Le bleu azur que possède l’eau cristalline de la mer sur le bord des plages, dans les pays paradisiaques qu’on voit dans les brochures publicitaires. Le bleu pur et parfait, aussi parfait que le plumage d’un oiseau exotique. Son iris était fascinant. Captivant. Les lignes de son iris formaient une harmonie profonde, aussi profonde que le noir de sa pupille. Profond comme un puit dans lequel je me sentais tomber. Je tombais dedans et l’iris coulait dedans également. L’eau montait, je me noyais. Noyais…je ne paniquais pas, pourtant. L’eau était chaude…elle était bonne…Elle était…était…

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Des yeux verts. Vert. Vert neutre, vert puissant, intense. Le vert d’une pomme mûre…Non…Le vert d’un paysage. Verdoyant. Il cache un paysage dans ses yeux…une forêt profonde. J’aime bien. Ça me rappelle mon père. Je veux pénétrer l’enceinte de cette forêt sacrée. Je veux découvrir ce lieu. Il a des choses à m’offrir. De belles choses. Il cache sûrement des nouvelles mélodies dans son âme. Je veux les entendre. L’âme de la forêt au fond du noir. Il me suffit juste d’approcher un peu…de poser un pied dans le vert…

…Non…Je dois m’arrêter. Je sais de quoi je suis capable. Ne pas lui mentir. Ne pas lui faire croire des choses. Je devrais avoir honte ! Je n’apprends jamais rien, incapable !

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Soudainement, le contact se rompit. Il dévia le regard pour observer les gouttes qui se fracassaient contre les vitres de ma chambre. Le son de l’orage se fit entendre dehors et la pluie avait dû gagner en intensité.

C’était…bizarre…C’était…Mon corps était enrobé d’une sensation étrange. Pas désagréable, ni vraiment agréable. Indescriptible. J’avais l’impression que je me déconnectais un peu, comme lorsqu’on se lève trop vite et que le sang n’a pas réussis à monter assez vite au cerveau. Tentant de reprendre contact avec la réalité, je tâtais l’espace derrière moi et sentis le tissu de ma couette. J’en profitais pour me poser sur le bord de mon lit. Erwin, lui, ne semblait pas déconcerté par mon état ou autre chose. Il redevenait la même personne qu’il était d’habitude, silencieux et ailleurs.

-Où sont tes parents ? Me demanda-t-il.

Sa question, sortie de nulle part, me prit un peu de court.

-Je, heu…Ma mère travaille jusqu’à très tard.

-Ton père ?

-Mort. Un cancer du pancréas que personne n’a vu venir.

-Oh…pardon.

-C’est pas grave. Mes parents ont divorcés assez rapidement et je n’ai pas beaucoup eu d’occasion pour le voir. C’est…Compliqué…mais bon.

Je lui offris un sourire. Au moins, il me montrait qu’il n’était pas indifférent aux conséquences de son indiscrétion ou aux malheurs des autres. De ce que je savais de lui, il aurait bien pu rester également dans son silence, après tout.

Je me levais et quitta la chambre.

-Il faut que je m’occupe du linge sale.

Sans vraiment faire attention à si il me suivait ou non, je m’approchais de la porte de la chambre de ma mère, où était posé devant un panier de linge-sale. Je prenais les sangles et l’emporta dans la buanderie.

-Tu fais tout le travail à la maison ? Me demanda-t-il.

-Oui, plus ou moins…Mais ça ne me dérange pas. Faut bien que quelqu’un s’en occupe.

Je savais que certaines personnes se faisaient des idées sur moi et ma mère. Quand on me voyait sortir les poubelles ou faire les courses le samedi, quand on me voyait laver la table du balcon ou qu’on m’observait alors que je nettoyais les vitres, certains pensaient que j’étais un esclave, que ma mère me contraignait à faire des tâches qu’un jeune homme devrait ignorer au profit du lycée et des études. Qu’elle me négligeait et profitais de son fils pour s’épargner du travail. Connerie ! Ce n’était pas à ma mère, après des heures et des heures de boulot, de rentrer à 23h et faire toute les corvées. Son rôle était de nous fournir l’argent pour avoir un toit, des vêtements, de la nourriture, payer mon école. Et le miens, c’était de veiller à ce que la maison soie propre, accueillante et intacte. Personne n’est arnaqué dans ce contrat entre nous deux.

-C’est plutôt honnête, me rassura Erwin.

Ce que j’aimais bien avec lui, c’était à quel point les choses semblaient simples. Avec ce gars à côté, tu avais l’impression que rien n’était grave. Tout ce qui semble compliqué à expliquer dans la société, tous les sujets délicats semble n’être qu’un problème minuscule. Personnellement, ça me donnait l’impression d’être jugé à ma juste valeur par son regard.

Je continuais à installer les derniers vêtements sales, puis ferma la petite portière, installa le produit et activa la machine. Erwin avait déjà disparus de derrière moi et en revenant sur mes pas, je le retrouvais assis sur le canapé du salon, le regard toujours posé dehors, à regarder la pluie.

-ça semble s’être calmé un peu. Je suppose que le ciel sera dégagé quand je rentrerais.

-Tu ne veux pas rester un peu ? Il pleut toujours après tout. Beaucoup moins, mais toujours.

-ça ne me dérange pas d’être un peu mouillé. Ce n’est que de l’eau.

-C’est dommage. On n’a pas eu vraiment de temps pour se poser et discuter un peu.

Il se releva et se tourna vers moi. J’ai cru l’espace d’un instant qu’il allait à nouveau me regarder dans les yeux, mais il posa simplement ses yeux sur un espace vide à proximité de ma tête. Comme d’habitude, ce n’était pas vraiment un regard direct.

-On aura d’autres moments pour se voir.

Je lâchais un léger rire en entendant ses paroles. Voilà une phrase bien étrange de la part de ce solitaire. Il réagit d’ailleurs à cela :

-J’ai…Dis quelque chose qu’il ne fallait pas ?

-Non, c’est juste que rien ne semble jamais te concerner, alors que tu affirmes que l’on se reverra…

J’ai été un peu trop franc cette fois-ci. Je ne pensais pas avoir été méchant ou même blessant en disant ça, mais toute vérité n’était pas bonne à dire. Je pense qu’il avait remarqué ma gêne et s’approcha un peu, se contentant de répondre :

-Merci pour ta sincérité. Les gens ont souvent trop peur de la vérité.

Il m’offrit un sourire. Un petit sourire sur le coin de sa lèvre, assez discret, mais je l’avais remarqué. Je crois que c’était la première fois que je le voyais sourire, même un petit peu. C’était vraiment la journée des premières fois. Quel gars perturbant. Lors des bons moments, il semble impassible, mais lors des moments où on devrait se sentir vexé ou mal à l’aise, il semblait être plutôt content.

-Et l’ami de ta tante ? Lui demandais-je

-Il passe dans le parc pour rentrer chez lui. S’il ne me voit pas, c’est que je suis rentré chez moi et il le sait.

-Oh, d’accord.

Il commença à s’approcher de la porte, se baissa pour ramasser son sac qu’il avait déposé par terre. Il le remit sur son épaule et se tourna vers moi, me faisant un signe de la tête. J’ouvrais la porte et prit un malin plaisir à lui tendre la main, voulant voir sa réaction.

-à une autre fois, lui dis-je.

Il fixa ma main l’espace d’un instant, semblant surpris, puis hésitant. Il se contenta d’ignorer mon geste et partit, me laissant seul avec ma main en l’air…hm…Pas le genre de personne qui semblait aimer le contact. C’était noté.

Je fermais la porte et me posais sur le canapé. J’avais du travail à faire, mais je n’avais pas assez de motivation pour commencer. J’étais ailleurs. Mon esprit vaguait dans l’autre monde. Je repensais à Erwin, tentant de remémorer cet instant avec lui. L’intensité de ce bleu…

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*
Le vent était frais. Chacun des poils de mon pelage ressentais, la chanson de l’air en ce clair de lune. Il m’a fallu un temps pour rentrer. Je devais éviter les routes, autrement je risquais de finir renverser par une voiture et je ne souhaitais me retrouver sur aucune table d’opération, que ce soit vétérinaire ou docteur. J’avais laissé mes vêtements et mon cartable dans ma cachette, à l’exception du t-shirt que Lucas m’avait prêté, que je gardais entre mes crocs. Je constatais avec satisfaction que le pont n’était plus submergé. Je le traversais en trottinant, ayant hâte de pouvoir enfin rentrer chez moi.

La porte était fermée à clé, comme d’habitude. Mais ma tante me laissais toujours la petite fenêtre de la cave ouverte, assez pour que je puisse rentrer sans laisse l’occasion à d’éventuels cambrioleurs de faire de même. Cela tombait bien, j’avais laissé mes clés avec le reste de mes affaires. Je glissais dans le passage étroit, puis me remis sur mes deux pieds, prenant le premier escalier pour arriver dans le salon, puis le second pour atteindre ma chambre.

Je fermais la porte, respirant lentement. J’étais dans la noirceur rassurante de mon antre, ce refuge à moi. Je grimpais sur mon lit, laissant mes yeux voyager l’espace d’un instant sur le plafond de ma chambre. Il était tard. Ma tante n’allait pas rentrer avant un bout de temps. Je fermais les yeux. J’écoutais le silence. Je caressais la surface de mon lit avec la paume de ma main. L’odeur de Lucas, imprégné sur son t-shirt, s’élevait et atteignait mes narines. Je le prenais, le pliait, et posa ma tête dessus...
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